La double peine du vendeur particulier impayé et imposé malgré tout sur sa plus-value
Des associés vendent les titres de leur société en consentant à l’acheteur un crédit-vendeur sur plusieurs années que celui-ci ne rembourse pas intégralement. Ces associés ont été imposés sur la plus-value réalisée à l’impôt sur le revenu. L’impôt ayant porté sur la totalité de la plus-value sur la seule année où la cession s’est réalisée, ils tentent d’obtenir un dégrèvement d’impôt à proportion de l’impayé qu’ils ont subi, dégrèvement qui leur est refusé.
Ils saisissent le Conseil constitutionnel pour faire reconnaître l’inconstitutionnalité de l’article 150-0A du CGI parce que ce texte ne prévoit pas de dégrèvement en cas de non-paiement du prix. L’article prévoit en effet l’imposition des cessions de valeurs mobilières réalisées par les particuliers l’année de conclusion de la cession (art 150-0A CGI).
Deux exceptions : la clause de complément de prix (« earn out » art 150-0A I, 2 CGI) et la clause de restitution du prix en cas de garantie de passif (art 150-0D,14 CGI), qui permettent soit de calculer la plus-value à la date de versement, soit d’obtenir sur réclamation un dégrèvement d’impôt après restitution du prix. La clause de crédit-vendeur est différente : elle consent un paiement différé à un acheteur qui ne peut payer comptant faute de concours bancaires et ne peut pas non plus fournir des garanties. La Loi ne prévoit pas ce cas.
La jurisprudence considère que le fait générateur de l’impôt est constitué par la date du transfert de propriété sur lequel aucun évènement postérieur tel que les modalités de paiement ne peut avoir d’influence (par exemple CE 9ème et 10ème 28 févr 2020, n° 426065).
Les associés requérants se fondent sur le principe de l’égalité devant les charges publiques (art 13 Déclaration Droits de l’Homme) selon lequel l’impôt ne doit peser que sur une personne qui dispose effectivement du revenu (Cons const 6 fév 2014 n° 2013-362 QPC et 30 mars 2017 2016-620 QPC).
Mais le Conseil déboute les associés car « le fait qu'une partie du prix de cession doive être versée de manière différée par le cessionnaire au contribuable, le cas échéant par le biais d'un crédit-vendeur, relève de la forme contractuelle qu'ils ont librement choisie. D'autre part, la circonstance que des événements postérieurs affectent le montant du prix effectivement versé au contribuable est sans incidence sur l'appréciation de ses capacités contributives au titre de l'année d'imposition. Il résulte de ce qui précède que les dispositions contestées ne méconnaissent pas le principe d'égalité devant les charges publiques » (Cons const., 14 janvier 2022 n° 2021-962 QPC).
A notre avis le Conseil constitutionnel ne répond pas exactement à la question qui lui était posée de savoir si l’article contesté devait ou non comporter la possibilité d’un dégrèvement « lorsqu'une partie du prix de cette cession n'a pas été effectivement versée par le cessionnaire, notamment dans le cadre d'un crédit-vendeur » puisqu’il n’envisage que le cas de l’accord contractuel qui serait à l’origine du non-paiement alors que le crédit-vendeur était l’une des possibilités (« notamment »). Que se passerait-il par exemple en cas de saisie du prix ?
Il reste que la situation déjà périlleuse des particuliers qui vendent à crédit à un acheteur potentiellement impécunieux se double d’une imposition certaine et anormale si le risque se réalise. Il est donc fortement recommandé d’aménager l’acte de cession avec des clauses qui retardent le transfert de propriété des parts au paiement effectif.